De plus en plus d’établissements me demandent d’intervenir auprès de leurs enseignants pour les aider à engager une réflexion sur l’utilisation du numérique en classe et à la maison.
Vendredi 6 juillet, se tenaient, presqu’en même temps, au Grand Palais, à Paris, deux événements, auxquels j’ai eu la chance d’assister : d’abord (première photo), une conférence, donnée par une diplômée de l’école du Louvre, sur le thème « Comment lire une peinture » ; puis (seconde photo), la visite en avant-première de l’exposition Art # Connexion permettant de « découvrir et expérimenter de nouveaux accès à l’art » à travers la réalité virtuelle ou augmentée, la projection immersive, les écrans tactiles, etc.
D’un côté, l’exposé d’une professionnelle, dotée d’un certain recul par rapport à son environnement, hérité de sa culture, de sa personnalité et de son expérience.
De l’autre, un accès à la connaissance médiatisé par des écrans et, derrière ces écrans, des interfaces et des bases de données, trop souvent focalisées sur les détails d’une œuvre.
D’un côté, une représentation unique, collective, pendant laquelle j’ai pris des notes que je pourrai relire, mais joyeuse, car ponctuée de pointes d’humour et d’improvisations, et enfin personnalisable, car tout auditeur pouvait, à la fin posait, des questions.
De l’autre, une expérience individuelle ou vécue à deux ou trois personnes, rejouable en théorie à l’infini, ludique, interactive en apparence mais, le plus souvent, extrêmement formatée. Impossible de poser une question ouverte à un écran ! Les machines nous imposent des parcours prédéfinis ; nous pouvons parcourir une œuvre, mais notre curiosité est contrainte : les détails sur lesquels nous pouvons obtenir plus d’informations sont peu nombreux et signalés par des repères sur lesquels nous devons cliquer.
Quel est le meilleur “intermédiaire” pour la transmission des connaissances ? Un être humain ou un écran ?
Une question que l’on me pose de plus en plus souvent, le numérique prenant de plus en plus de place dans les établissements d’enseignement français : recherche individuelle sur Internet, QCM en ligne, ENT (Espace Numérique de Travail), mur virtuel, groupe de travail par courrier électronique ou messagerie instantanée, travail à plusieurs et à distance sur un document électronique, tablette pour remplacer les livres scolaires…
De la recherche documentaire (voir les pistes de bibliographie ci-dessous) que j’ai effectuée et de mes échanges avec des parents, enseignants ou chefs d’établissement, il ressort :
A) que le numérique à l’école permet :
- d’accompagner une pédagogie active
- de stimuler la créativité
- de faciliter la coopération entre les élèves
- d’alléger, en théorie, le poids des cartables
B) mais que :
- l’impact du numérique à l’école sur une éventuelle amélioration des connaissances reste toujours à prouver…
- on n’a pas encore fait mieux qu’un manuel papier pour travailler à la maison. Certains établissements ayant distribué des tablettes demandent quand même à leurs élèves d’utiliser des livres papier…
- les tablettes et les sites web utilisés permettent trop souvent à de grandes marques américaines de mettre un pied dans le monde de l’éducation et d’asseoir ainsi leur légitimité auprès des enfants
- les enfants, du coup, accordent une trop grande confiance aux contenus numériques, mettant leur esprit critique en veilleuse par rapport à ces informations
C) que le numérique à la maison, même utilisé dans un but scolaire :
- est très chronophage : le numérique offre une infinité de possibilités pour soigner la forme du travail à rendre, ce qui constitue un très bon alibi pour y consacrer beaucoup de temps, parfois au détriment du fond
- constitue une source de distraction : une fois achevé le travail demandé par les enseignants, il est tentant pour un enfant de rester sur l’écran pour papillonner sur le Web, visionner des vidéos…
- complique la tâche des parents qui doivent : 1 jongler entre plusieurs sources pour avoir une vue globale de tous les devoirs que doivent faire leurs enfants ; 2 gérer les écrans…
De plus en plus d’établissements me demandent donc d’intervenir auprès de leurs enseignants pour les aider à engager une réflexion sur l’utilisation du numérique en classe et à la maison (en plus de mes conférences auprès de leurs élèves pour les aider à comprendre les tentations que représentent les écrans et à apprendre à y résister ; et auprès des familles pour leur fournir des conseils pratiques sur la gestion des écrans).
Pistes bibliographiques :
- Coughlan S., 2014, « Tablet computers in “70% of schools” », BBC News, 3 décembre 2014.
- Montrieux H., Raes A., Schellens T., 2017, « ‘The best app is the teacher’ Introducing classroom scripts in technology-enhanced education », Journal of Computer Assisted Learning, p. n/a-n/a.
- Soffer T., Yaron E., 2017, « Perceived Learning and Students’ Perceptions Toward Using Tablets for Learning: The Mediating Role of Perceived Engagement Among High School Students », Journal of Educational Computing Research, p. 0735633117689892.
- Stacy S.T., Cartwright M., Arwood Z., Canfield J.P., Kloos H., 2017, « Addressing the Math-Practice Gap in Elementary School: Are Tablets a Feasible Tool for Informal Math Practice? », Frontiers in Psychology, 8.
- Thibert R., 2012, « Pédagogie + Numérique = Apprentissages 2.0 », report, IFÉ – ENS de Lyon.